
AGRICULTURE - HISTOIRE
L’histoire de l’agriculture avant l’ère industrielle est une succession de phases d’innovation et d’adaptation aux changements climatiques et sociaux. Contrairement à l’agriculture chimique d’après-guerre, l’agriculture traditionnelle était une perturbation intermédiaire créatrice de biodiversité. En ouvrant des espaces cultivés, en favorisant la diversité des plantes et en stimulant l’interaction entre espèces, les sociétés humaines ont transformé leurs écosystèmes tout en s’y intégrant durablement. Cette dynamique d’équilibre, fondée sur la complémentarité entre les activités agricoles et la gestion des ressources naturelles, a façonné des paysages riches et résiliants, porteurs d’une biodiversité importante.
Avant l’avènement de l’agriculture, les chasseurs-cueilleurs peuplaient l'Europe. Leur alimentation dépendait des ressources locales et des saisons, alternant entre la chasse au gibier, la pêche et la cueillette de fruits, baies, racines et graines sauvages. La mobilité de ces groupes permettait une exploitation raisonnée des territoires, évitant l’épuisement des ressources. Toutefois, le réchauffement climatique post-glaciaire et la pression démographique ont favorisé la sédentarisation et l’adoption progressive de l’agriculture, initiée au Proche-Orient et en Asie avant de se diffuser vers l’Europe.
EN GAULE
L’agriculture repose sur des pratiques héritées des Celtes, dont les techniques sont bien attestées par les fouilles archéologiques. Des communautés rurales développent une agriculture avancée fondée sur la polyculture céréalière, notamment le millet, le blé, l’orge et le seigle, complétée par l’élevage de bovins et de porcs mais aussi de fèves, de lentilles, de navais, de betteraves, de panais et choux.
L’usage de la charrue à soc de fer et des moulins à eau améliore significativement les rendements, tandis que la fertilisation des champs repose sur un apport en fumier animal. Les Celtes pratiquent également la rotation des cultures et aménagent des silos pour stocker les grains, assurant ainsi une certaine résilience face aux aléas climatiques. Ce modèle agricole permet une relative prospérité, favorisant le développement d’une élite aristocratique et de vastes réseaux d’échanges avec le monde méditerranéen.


L’intégration progressive de la Gaule à l’Empire romain accentue cette dynamique, introduisant de nouvelles cultures comme la vigne, la châtaigne, l'olive, la figue et les légumes méditerranéens, des plantes d’Asie telles que le pois chiche, le pommier, le pêcher et le cerisier tout en centralisant les surplus agricoles vers les grandes cités gallo-romaines. La Route de la Soie favorise la circulation des plantes et des techniques agricoles. Le riz, originaire de Chine et d’Inde, est progressivement acclimaté en Espagne sous l’impulsion des Arabes. Les agrumes, comme les oranges et les citrons, arrivent par la Perse et le monde arabe. Les Romains diffusent à leur tour ces produits en Gaule, bien que leur culture y reste limitée par le climat.
L’Empire romain introduit également l’asperge, la laitue, le poireau et le fenouil, enrichissant le régime alimentaire des populations gauloises. Avec la chute de Rome et le repli du commerce, l’agriculture européenne se recentre sur des cultures locales adaptées aux climats et à la nécessité d’autosuffisance.
Les champs cultivés alternent entre céréales comme le blé et l'orge, des fabacaées comme les pois chiches, des plantes médicinales, des légumes et de très nombreux fruits avec de larges vergers, sans oublier la vigne, tandis que l’élevage assure la traction animale et la production de laine, de lait et de viande. La jachère permet de préserver la fertilité des sols. Les paysans vivent dans des communautés soudées, où les décisions agricoles se prennent collectivement et au rythme des saisons. La transmission orale des techniques, couplée à l’influence des monastères qui expérimentent de nouvelles cultures, façonne une agriculture fonctionnelle.
Pendant plus de 10 siècles, dans le centre de la France, les communautés rurales vivent en symbiose avec leur environnement. Chaque village repose sur une économie agricole de polyculture et d’élevage, permettant une certaine autosuffisance. Les familles paysannes exploitent des parcelles hétérogènes, souvent entrecoupées de haies et de bois communaux, qui offrent des ressources complémentaires comme le bois de chauffage et le pâturage.
À proximité des grandes villes, l’agriculture se spécialise pour répondre aux besoins croissants des populations urbaines. Le maraîchage, la viticulture et l’élevage laitier se développent autour de Paris, Lyon ou Bordeaux, où les marchés sont animés par des échanges intenses. Les fermiers qui y travaillent bénéficient d’une relative prospérité, car la demande citadine assure des débouchés stables, mais ils doivent aussi s’adapter aux fluctuations du pouvoir et aux crises politiques qui peuvent interrompre les échanges. La pression fiscale exercée par les seigneurs et le clergé pèse sur les petits exploitants, freinant les innovations agricoles et maintenant une large partie de la population dans la précarité.


AU MOYEN-ÂGE
Sous Charlemagne, l'agriculture repose sur un modèle autarcique structuré par le Capitulaire de Villis, un texte qui vise à organiser les domaines royaux en imposant des cultures variées et une gestion optimisée des ressources. Les campagnes fonctionnent selon un système féodal, où les terres sont exploitées par des serfs sous l'autorité des seigneurs et des monastères, garants de la transmission des savoirs agricoles.
L'ASSOLEMENT TRIENNAL
L’un des tournants majeurs de l’agriculture médiévale est l’adoption de l’assolement triennal, qui marque une révolution dans la gestion des terres. Ce système repose sur la division des champs en trois parties : une consacrée aux céréales d’hiver, une aux cultures de printemps comme l’orge ou les pois, et une troisième laissée en jachère, permettant aux sols de se reposer.
Cette rotation améliore considérablement les rendements, réduit l’épuisement des sols et permet une alimentation plus variée. Couplée à l’amélioration des outils agricoles, comme la charrue à versoir et le collier d’épaule pour les chevaux, elle favorise un essor démographique et une intensification agricole sans précédent. Toutefois, cette avancée n’est pas homogène : certaines régions, notamment montagneuses ou trop éloignées des centres commerciaux, conservent des systèmes plus rudimentaires.
L’introduction progressive du droit d'assolement collectif oblige les paysans à coopérer, ce qui renforce la cohésion des communautés mais limite l’initiative individuelle. Ce modèle triomphera jusqu’à la fin du Moyen-Âge, où il commencera à être remis en question par de nouvelles logiques économiques.


LA REVOLUTION MARAîCHÈRE
Au XVIIᵉ siècle, une avancée majeure dans le domaine agricole survient avec les travaux de Jean-Baptiste de La Quintinie, jardinier du roi Louis XIV, qui révolutionne le maraîchage en France. Il met au point des méthodes de culture intensives adaptées aux jardins royaux, notamment à Versailles, où il expérimente des techniques de forçage, d’amendement des sols et de gestion fine de l’eau. Grâce à l’usage des couches chaudes, composées de fumier et de paille, il parvient à cultiver des légumes et fruits hors saison, répondant ainsi aux exigences gastronomiques de la cour.
Ces innovations sont rapidement adoptées par les maraîchers parisiens, qui perfectionnent l’agriculture de proximité en développant des cultures abritées et en optimisant la gestion des rotations. À partir du XVIIIᵉ siècle, la ceinture maraîchère de Paris devient un modèle d’intensification agricole, permettant d’approvisionner la capitale en légumes frais tout au long de l’année. Ces pratiques, basées sur un savoir-faire empirique et une adaptation aux besoins du marché, contribuent largement à l’augmentation des rendements agricoles et annoncent une évolution vers une agriculture plus spécialisée et tournée vers la productivité.
AU XIXÈME SIÈCLE, LA CRISE
Le XIXᵉ siècle amorce une crise agricole. L’intégration progressive de la France dans un marché mondialisé expose les agriculteurs à la concurrence des grandes plaines américaines et russes, qui inondent l’Europe de céréales bon marché. Cette ouverture entraîne une chute brutale des prix agricoles, mettant en péril des milliers d’exploitations. Les grandes propriétés, mieux mécanisées et mieux connectées aux réseaux ferroviaires, survivent en diversifiant leurs cultures ou en se tournant vers l’élevage, tandis que les petites fermes, moins compétitives, disparaissent progressivement.
Le monde rural connaît alors un exode massif vers les villes, où l’industrialisation offre de nouveaux débouchés. Pourtant, l’État intervient peu pour enrayer cette déstructuration sociale, considérant que l’agriculture doit s’adapter aux lois du marché. Les structures agraires se transforment : de vastes domaines céréaliers émergent, tandis que les régions plus marginales maintiennent une polyculture de subsistance de plus en plus précaire. Cette période marque le basculement d’une paysannerie majoritaire et autosuffisante vers un secteur en crise, où la précarité côtoie l’industrialisation rampante.


LA RÉVOLUTION CÉRÉALIÈRE
Au XVIIIᵉ siècle, la révolution agricole céréalière transforme profondément la structure de la production. L’augmentation démographique et la croissance des échanges commerciaux stimulent l’innovation : l’introduction de cultures améliorantes comme le trèfle et la pomme de terre enrichit les sols, une forte amélioration dans la sélection des semences et des variétés de céréales plus productives, tandis que l’élevage intensif se développe pour fournir plus de fumier et donc fertiliser davantage les terres.
Les physiocrates, partisans d’une économie agricole libérale, prônent la suppression de la jachère et encouragent une gestion plus scientifique des exploitations. Les grands propriétaires, souvent nobles ou bourgeois, modernisent leurs domaines en appliquant ces principes, tandis que les petits paysans peinent à suivre le mouvement, faute de capitaux et de formation. Les terres communes commencent à être encloses, ce qui favorise la concentration foncière et accentue les inégalités sociales.
Cette transformation marque la transition d’une agriculture vivrière vers un modèle davantage tourné vers le marché, où les produits sont écoulés bien au-delà des localités de production.
AU XXÈME, LA MECANISATION
De la fin du XIXᵉ siècle à la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture oscille entre modernisation et stagnation. La mécanisation commence à se généraliser dans les régions riches, mais une grande partie du pays reste attachée à des pratiques ancestrales. Les engrais chimiques font leur apparition, notamment grâce aux découvertes scientifiques sur l’azote et le phosphore, tandis que les premières formes de monoculture émergent. Cependant, la dépendance aux conditions climatiques et aux crises économiques reste forte.
La Première Guerre mondiale révèle les faiblesses du secteur, notamment la dépendance à une main-d’œuvre rurale, qui se réduit drastiquement avec les pertes humaines.
La crise de 1929 aggrave encore la situation, poussant l’État à intervenir timidement pour tenter de stabiliser les prix et encourager une meilleure structuration des filières agricoles.


JUSQU'À LA SECONDE GUERRE MONDIALE
Jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture française reste majoritairement paysanne, caractérisée par des pratiques traditionnelles héritées de siècles d’expérimentation collective. La majorité des exploitations sont de petites unités familiales qui fonctionnent en polyculture-élevage, garantissant une autonomie relative aux cultivateurs et aux Français. Les rotations culturales, bien que déjà influencées par la modernisation amorcée au XVIIIᵉ siècle, restent largement fondées sur l’auto-fertilité des sols, entretenue par le très fertile fumier des animaux.
L’usage des engrais chimiques commence à se répandre dans les régions les plus riches, mais la majeure partie du territoire repose encore sur des méthodes organiques. La mécanisation est inégale : les grandes plaines céréalières du Bassin parisien commencent à s’équiper de tracteurs, tandis que les zones plus reculées conservent la traction animale. Les premiers traitement par fumigation avec des gaz de combats qui deviendront des pesticides de synthèse sont appliqués dans les silos à grain.
LE PLAN MARSHALL
Après 1945, la France bascule dans une modernisation accélérée de son agriculture, orchestrée par l'État à travers des politiques de remembrement et d’intensification. L’État, avec l’appui des institutions européennes et des États-Unis via le plan Marshall, met en place des politiques de remembrement et de mécanisation massive. Inspirée par le modèle industriel américain, l’agriculture devient une affaire d’ingénieurs et de techniciens plutôt que de paysans.
Les petites exploitations sont incitées à fusionner en unités plus grandes et plus spécialisées, favorisant l’adoption de nouvelles technologies. Cette transformation s’accompagne d’une révolution technologique fondée sur le triptyque semences hybrides F1, engrais azotés de synthèse et pesticides chimiques.
Cette transformation repose en grande partie sur l’héritage de la recherche militaire : les engrais azotés sont directement issus des techniques de fabrication d’explosifs, tandis que les pesticides, dont certains dérivés du gaz moutarde, sont réadaptés pour éradiquer les nuisibles agricoles.
Le machinisme de guerre est transformé en machinisme agricole. Si cette militarisation de l'agriculture et de la nature permet une apparente autosuffisance alimentaire rapide et un enrichissement de certains exploitants, elle transforme aussi profondément la relation entre l’homme et la terre, en instaurant une logique d’industrialisation qui éloigne les agriculteurs de tous les cycle du vivant.

