
LOBBYING - LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE
Depuis des décennies, les grandes firmes agrochimiques ne se contentent pas de vendre des pesticides. Elles façonnent aussi l’opinion publique, orientent la recherche scientifique, influencent les politiques et ralentissent les régulations. Ce pouvoir ne repose pas uniquement sur la force économique ou le lobbying politique : il s’exerce aussi par un usage stratégique et dévoyé de la science elle-même.
Les biais de financement : depuis plus de 40 ans, le financement public de la recherche baisse drastiquement. Les chercheurs doivent donc de plus en plus se tourner vers des fonds privés, y compris ceux des entreprises qu’ils sont censés évaluer. Résultat : des études influencées par les financeurs, un affaiblissement de l’indépendance scientifique, et une science sous pression économique.
Les biais techniques : Certaines choses sont plus faciles à mesurer que d’autres. Par exemple, il est plus simple de relever la température d’un écosystème que d’analyser la présence de résidus chimiques complexes et leurs conséquences. Il est possible de modéliser le climat, mais impossible de modéliser le vivant dans son ensemble. Ce déséquilibre technique oriente les priorités de la recherche et laisse dans l’ombre certains effets toxiques lents, diffus, ou à long terme.
Les biais de spécialisation : les scientifiques sont formés dans des disciplines très cloisonnées. Cela limite les approches globales, interdisciplinaires, indispensables pour saisir l’effet cumulatif des pesticides sur les écosystèmes ou la santé humaine par exemple. Ainsi si vous étudiez l'impact du réchauffement climatique sur un écosystème sans étudier sa contamination chimique par les pesticides, vous passez sans doute à côté d'un problème majeur.
Les biais culturels et narratifs : Nous projetons souvent une vision figée de la nature, comme si elle devait rester "pure" ou "préservée". Cette perception, marquée par un imaginaire de la conservation, masque l’impact massif de la pollution chimique diffuse, notamment par l’eau. Elle favorise aussi des récits de type « invasion biologique » qui détournent le regard des vraies causes de déséquilibres.
DEVOYER LE DOUTE SCIENTIFIQUE
Dans son essence, le doute est au cœur de la science. Il pousse à poser des questions, à vérifier, à critiquer. Mais ce doute devient dangereux quand il est instrumentalisé : non plus pour progresser, mais pour freiner. L’industrie l’a bien compris : créer un climat d’incertitude permet de repousser les décisions politiques. Tant qu’il y a "controverse", on ne régule pas. Cette stratégie a été utilisée avec succès sur le tabac, l’amiante, le changement climatique et aujourd’hui sur les pesticides.
Financer des études qui minimisent les risques, ou au contraire, semer la confusion sur celles qui les montrent, permet de rendre une connaissance instable, discutable, voire inaudible. Ce n’est pas une recherche de vérité, mais une fabrique de l’ignorance.
EXPLOITER LES BIAIS
La science n’est pas parfaite : elle comporte elle aussi un grand nombre de biais cognitifs. Elle avance avec ses outils, ses moyens et ses limites humaines. Et c’est précisément ces biais que l’agrochimie utilise pour bâtir le narratif qui va dans le sens de ses intérêts.
DES REVUES A LA DÉRIVE
Même les revues à comité de lecture, censées être le cœur du sérieux scientifique, ne sont pas épargnées. De nombreuses publications accueillent aujourd’hui des lettres de controverse ou de commentaires scientifiques qui n’y ont pas leur place : elles servent uniquement à attaquer des études gênantes, à créer du "bruit", du doute et de l'ignorance.
Souvent, ces lettres ne vérifient pas :
· qui est réellement l’auteur (certains articles sont écrits en partie par des cabinets liés à l’industrie),
· s’il existe des conflits d’intérêts y compris quand l’auteur est consultant pour des entreprises agrochimiques,
· si les arguments sont fondés ou juste destinés à entretenir le doute.
Cette fausse pluralité alimente l’idée qu’il n’y a pas de consensus. C’est exactement ce que cherchent les industriels : non pas gagner la bataille des faits, mais retarder la reconnaissance des faits.
Tout cela ne sert pas la science : cela la dénature. Cette manipulation systématique affaiblit non seulement la confiance dans la science, mais aussi la science elle-même, en limitant sa capacité à éclairer les choix collectifs. La science devient un outil de communication, un rempart rhétorique contre la critique, un argument d’autorité au lieu d’un outil d’émancipation et empêche la société de poser les vraies questions : À quoi sert cette recherche ? Il ne s’agit pas de rejeter la science, mais au contraire de la défendre contre ses dévoiements, en exigeant plus de transparence, plus d’indépendance, et plus de cohérence.