LES INSTITUTIONS ENVIRONNEMENTALES

GIEC - GROUPE D'EXPERTS INTERGOUVERNEMENTAL SUR L’ÉVOLUTION DU CLIMAT

La création du GIEC (IPCC) en 1988 n’est pas un simple jalon scientifique : elle a été profondément influencée par le contexte géopolitique, économique et idéologique de l’époque, notamment par Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Avant le GIEC, les grandes conférences environnementales s'organisaient autour de l’ONU Environnement (PNUE). En 1972 a eu lieu le premier Sommet pour la Terre à Stockholm. En 1987, le rapport Brundtland introduit la notion de "développement durable". En 1992, le Sommet de Rio se tient après la création du GIEC.

Margaret Thatcher et Ronald Reagan rejetaient l’écologie politique. Thatcher était favorable à une science forte, mais hostile aux réglementations environnementales contraignantes. Reagan, quant à lui, était ultralibéral, climato-sceptique, et hostile à toute limitation de la croissance ou de l’industrie fossile. Ils ne voulaient pas que les Nations Unies ou les ONG écologistes radicalisent l’agenda international, ainsi le GIEC a été conçu en partie pour cadrer les discussions et freiner les dynamiques écologistes plus radicales, une manœuvre géopolitique défensive face à une montée des critiques anticapitalistes, écologiques et tiers-mondistes.

Dès le départ, le GIEC a été un organe intergouvernemental, non indépendant. Les rapports du GIEC sont validés, ligne par ligne, par les États. Cela signifie que des gouvernements peuvent modérer, censurer ou reformuler des conclusions scientifiques pour des raisons diplomatiques ou économiques.

Ce mécanisme a ralenti l’alerte climatique et permis à certains États d’éviter d’être pointés du doigt. Le GIEC a aussi été un outil de "scientifisation" de l’écologie, donc de dépolitisation partielle. Plutôt que d’agir politiquement dès les années 1980 sur la base du principe de précaution, la stratégie dominante a été de dire qu’il fallait d’abord plus de science, plus de recherche, plus de rapports, plus de consensus. Ce processus a retardé l’adoption de mesures contraignantes.

La création du GIEC peut être interprétée comme un encadrement du mouvement écologique naissant, sous la forme d’un processus scientifique contrôlé par les États, plutôt qu’un levier d’action directe, comme l’auraient été des sommets pour la Terre et ses traités environnementaux contraignant, dès les années 1980. Elle a aussi focalisé l’attention politique et médiatique sur le climat, au détriment d’autres dimensions fondamentales de la crise écologique, notamment la pollution chimique — en particulier celle liée aux pesticides.

PESTICIDES LOBBYING
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Pourtant, dès les années 1960, dans Silent Spring de Rachel Carson (1962), les effets catastrophiques des pesticides sur les humains et les écosystèmes sont parfaitement décrits. Des études massives dans les années 1970-1980 établissent leur toxicité aiguë et chronique, leur bioaccumulation, leur effet sur les pollinisateurs, les océans, la fertilité, les cancers, les malformations. Malgré cette base scientifique solide, la gouvernance environnementale mondiale ne s’est pas structurée autour de cette menace.

Cela ne veut pas dire que le climat n’est pas une urgence réelle, mais que le choix d’en faire “la grande cause environnementale unique” a réduit la complexité des crises écologiques à une dimension principalement énergétique, technocentrée (énergies renouvelables, capture du carbone, etc.), au détriment d’une remise en cause de l'agrochimie pourtant à la racine de l'extinction.

Bien que le GIEC mentionne recevoir des contributions de diverses sources, y compris du secteur privé, il n'existe pas de liste publique détaillant les entités spécifiques du secteur privé qui contribuent financièrement.

IPBES - PLATEFORME INTERGOUVERNEMENTALE SCIENTIFIQUE & POLITIQUE SUR LA BIODIVERSITÉ ET LES SERVICES ÉCOSYSTÉMIQUES

La création de l’IPBES, calquée sur le GIEC, résulte d’un long processus politique de huit ans (2004–2012), durant lequel les grandes puissances, notamment les États-Unis, ont œuvré à encadrer le débat sur la biodiversité. L’objectif était de canaliser les alertes écologistes montantes dans un dispositif intergouvernemental, plus facilement contrôlable. Ce choix a contribué à enterrer l’ambition initiale de la Convention sur la diversité biologique (CDB) adoptée en 1992, que les États-Unis n’ont d’ailleurs jamais ratifiée. L’IPBES marque ainsi le passage d’un projet multilatéral de protection de la nature à un cadre scientifique diplomatique, dominé par la logique du consensus étatique.

Comme le GIEC, l’IPBES est un organe intergouvernemental : les États y contrôlent les financements, la gouvernance et surtout la validation ligne par ligne des résumés pour décideurs. Cela permet à certains pays de modérer, reformuler ou censurer les messages trop critiques sur l’agriculture industrielle, les pesticides, la financiarisation de la nature ou les subventions écocides. Ce mécanisme affaiblit les rapports finaux et évite de désigner clairement les responsables de l’effondrement du vivant, même lorsque le consensus scientifique est établi.

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L’IPBES a aussi permis de “scientifiser” la biodiversité, comme le GIEC l’a fait avec le climat. La crise écologique y est traduite en tableaux, scénarios, “services écosystémiques” ou “solutions fondées sur la nature” : un langage qui dépolitise le problème, rend l’action conditionnelle à des “recherches supplémentaires”, et légitime la participation d’acteurs industriels dans la définition des réponses comme Bayer, Kering ou CropLife qui participent à des événements et à des programmes.

Le rapport mondial de l'IPBES de 2019 identifie cinq facteurs directs majeurs de perte de biodiversité : les changements d'usage des terres et de la mer, l'exploitation directe des organismes, le changement climatique, la pollution et les espèces exotiques envahissantes. Les pesticides sont inclus dans la pollution, sans être spécifiquement mis en avant comme facteur principal.

Dans le cadre de l'évaluation thématique de l'IPBES sur les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire, des experts affiliés à des entreprises agrochimiques ont été impliqués. Par exemple, le Dr. Christian Maus, employé de Bayer Crop Science AG, a été désigné en tant qu'auteur principal de cette évaluation et Helen Thompson, employée de Syngenta, faisait également partie de ce groupe d'experts.

Dans son rapport intermédiaire sur les espèces invasives l'IPBES mentionne à différentes reprises d' "éradiquer" certaines espèces dites invasives notamment avec des "solutions chimiques". Bien que l'IPBES mentionne recevoir des contributions de diverses sources, y compris du secteur privé, il n'existe pas de liste publique détaillant les entités spécifiques du secteur privé qui contribuent financièrement.

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Le rapport met davantage l'accent sur des facteurs tels que les changements d'usage des terres, la surexploitation des ressources et le changement climatique, alors que l'évolution de ces dernières est tout à fait inférieur à l'effondrement global de la biomasse observé). Concernant la terminologie, l'IPBES utilise principalement le terme "érosion de la biodiversité" pour décrire le déclin massif des espèces et des écosystèmes. et le terme "sixième extinction de masse" n'est pas explicitement utilisé.

FAO - ORGANISATION POUR L’ALIMENTATION ET L’AGRICULTURE

Les liens entre la FAO et l’agrochimie sont anciens, ambigus et politiquement sensibles. Officiellement, la FAO se positionne comme une organisation internationale neutre œuvrant pour l’éradication de la faim et la promotion d’une agriculture durable. Pourtant, dans la pratique, elle entretient depuis des décennies des relations étroites avec l’industrie agrochimique, notamment à travers des partenariats techniques, des consultations, et plus récemment, des accords de coopération. Cette proximité est particulièrement visible dans les stratégies de la FAO sur la "productivité agricole", la "gestion intégrée des ravageurs" ou encore la "modernisation" des systèmes, où les solutions proposées impliquent très souvent l’usage d' "intrants chimiques" (pesticides).

L’un des épisodes les plus révélateurs de cette relation a été la signature, en octobre 2020, d’un accord entre la FAO et CropLife International (le lobby international des pesticides). Ce partenariat, présenté comme une initiative pour des systèmes agroalimentaires durables, a immédiatement suscité des réactions hostiles de la part de centaines d’ONG, d’agriculteurs, de chercheurs qui y voyaient une tentative claire de légitimer l’usage continu des pesticides sous couvert de durabilité.

La présence de l’agrochimie au sein des dispositifs de gouvernance technique de la FAO est également indirecte mais structurante. Plusieurs groupes de travail ou comités techniques incluent des représentants d’instituts financés par l’industrie, des centres de recherche partenaires ou des consultants ayant des liens d’intérêt avec les grandes entreprises chimiques. Par ailleurs, la FAO collabore régulièrement avec des fondations ou plateformes multiacteurs, telles que l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) ou la Fondation Gates, qui soutiennent une vision de l’agriculture fortement dépendante des intrants. Dans ses politiques de soutien aux femmes rurales, par exemple, la FAO préconise parfois explicitement de leur faciliter l’accès aux pesticides, au nom de la productivité, montrant que l’usage de produits chimiques est perçu comme un outil de développement.

Enfin, l’ambivalence de la FAO se manifeste dans son vocabulaire et sa communication. Tandis qu’elle promeut publiquement l’agroécologie, elle utilise simultanément des concepts flous comme "intensification durable", "gestion intégrée", ou "systèmes alimentaires innovants", qui permettent l’intégration des technologies agrochimiques sans rupture avec le modèle productiviste. Cela favorise une cohabitation stratégique entre des discours critiques et des pratiques compatibles avec les intérêts industriels. En ce sens, la FAO joue un rôle de médiation entre des injonctions politiques contradictoires, mais sa position reste globalement favorable au maintien de l’agrochimie dans les systèmes agricoles mondiaux.

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PNUE - PROGRAMME DES NATIONS UNIES POUR L'ENVIRONNEMENT

Le PNUE est créé en 1972 à la suite du Sommet de Stockholm. Comme d’autres agences onusiennes, le PNUE entretient des relations ambivalentes avec l’agrochimie, à travers des partenariats, des plateformes conjointes et une approche souvent technocratique du développement durable. Cette proximité participe à une dynamique où les grandes entreprises du secteur chimique peuvent participer activement à la définition des cadres environnementaux globaux.

Depuis les années 1990, le PNUE a développé une stratégie dite "d’engagement avec le secteur privé". Ce tournant s’est notamment manifesté par la création de partenariats public-privé, comme le Global Compact ou les alliances sur les "solutions fondées sur la nature", dans lesquelles certaines entreprises agrochimiques ou leurs lobbys sectoriels ont pris part. Le PNUE est également membre de forums où siègent des entreprises telles que Bayer, Syngenta ou BASF, souvent par l’intermédiaire de faux-nez comme le World Business Council for Sustainable Development. Ces structures permettent à des multinationales de co-construire des indicateurs, des cadres de reporting ou des plans d’action, sans remise en cause directe de leurs pratiques, notamment en matière de production de pesticides.

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Le PNUE est aussi co-hôte du Secrétariat de plusieurs conventions clés dans le domaine des substances chimiques et des déchets dangereux, comme les conventions de Bâle, de Rotterdam et de Stockholm. Bien que ces instruments soient censés encadrer ou interdire certaines substances toxiques, leur mise en œuvre est souvent entravée par des conflits d’intérêts, des pressions diplomatiques et une absence de consensus sur la dangerosité de certains produits. L’industrie agrochimique participe parfois à ces processus via des experts intégrés aux délégations officielles ou à travers des mécanismes consultatifs. Cette présence permet à certains acteurs de défendre l’usage de substances controversées ou de ralentir leur inscription sur les listes de restrictions.

Enfin, comme pour la FAO, le langage du PNUE s’est progressivement adapté aux cadres du développement durable dominant. Les termes de “croissance verte”, “économie circulaire” ou “efficacité des intrants” sont fréquemment employés, ce qui permet une compatibilité avec les intérêts des industries chimiques. Le PNUE promeut certes l’agroécologie et la réduction des pollutions, mais sans rompre avec l'agriculture chimique.

L’argument du coût de la transition est souvent utilisé pour maintenir un statu quo, en laissant croire que sortir des pesticides est complexe, risqué, ou nécessite un accompagnement technique exceptionnel. L’affirmation selon laquelle il faut “financer la sortie des pesticides” masque une vérité gênante : ce sont les systèmes agrochimiques qui sont chers.

Ce genre de programme est emblématique d’une approche dite “transitionniste” : on prétend vouloir transformer l’agriculture, mais sans toucher aux acteurs dominants. Résultat : on mobilise des financements publics (ou multilatéraux, comme le FEM) pour accompagner lentement la réduction d’un problème que des millions de paysans ont déjà résolu par leurs propres moyens. Cela revient à soutenir indirectement l’agrochimie, en considérant qu’elle est indispensable dans la phase de transition.

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Le programme FARM du PNUE, censé financer la réduction des pesticides, reprend en réalité une partie du discours de l’agrochimie en laissant croire que sortir des intrants chimiques nécessiterait des investissements massifs. Or, ce sont justement les pesticides qui coûtent cher, fragilisent les sols, appauvrissent les écosystèmes et enferment les agriculteurs dans une dépendance marchande. L'agriculture biologique existe depuis 12 000 ans, sans soutien public, et montre que produire sans intrants chimiques est non seulement possible, mais économiquement plus rationnel à long terme.

UNFPA - UNESCO - HCR - UNICEF - PAM

Bayer collabore avec le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) dans des projets visant à "améliorer l'accès à la santé reproductive", notamment à travers la distribution de contraceptifs et d’outils numériques éducatifs en Inde. Ce type de partenariat permet à Bayer de renforcer son image d’acteur engagé dans les droits humains tout en consolidant ses parts de marché dans le secteur pharmaceutique. Ce que ces campagnes ne disent jamais, c’est que Bayer est aussi l’un des principaux producteurs mondiaux de pesticides liés à de graves impacts sanitaires (cancers, perturbations endocriniennes, infertilité). En s’associant à des programmes de santé reproductive, l’entreprise participe à une stratégie de “repositionnement éthique” qui fait oublier que ses produits contribuent, par l’empoisonnement des sols, des aliments et de l’eau, à de nombreuses atteintes à la santé reproductive et à la fertilité.

La Fondation BASF, de son côté, entretient des relations avec plusieurs agences de l’ONU (UNESCO, HCR, UNICEF, PAM) dans des domaines comme la nutrition, l’éducation ou le soutien aux réfugiés. Ces actions, présentées comme philanthropiques, relèvent du soft power industriel : elles servent à masquer le rôle historique de BASF dans la dissémination mondiale des engrais de synthèse et des pesticides, et à réhabiliter son image dans les débats sur la faim et la malnutrition. Or, l’usage intensif de ces intrants chimiques est une cause majeure de la dégradation des sols, de la perte de diversité alimentaire et de la contamination des cultures dans de nombreuses régions du monde : des facteurs qui aggravent précisément les problèmes de nutrition que ces partenariats prétendent combattre.

Comme on peut le voir ci-dessous BASF se targue
 en tant que membre fondateur de l'UNGC (UN Global Compact), de ne pas seulement participer au processus de création, mais d'être aussi un leader les mettant en œuvre dans sa stratégie en s'engageant dans des formats en tant que Groupe de travail de la CFO pour les ODD et le programme d'ambition Accélérateur.

Syngenta, par le programme "Growing Together" au Bangladesh, affirme vouloir "améliorer les moyens de subsistance des petits exploitants". Derrière ce discours de développement rural se cache une opération d’intégration de ces agriculteurs dans des chaînes de valeur agro-industrielles dominées par les semences hybrides, les engrais chimiques et les pesticides. Ces programmes permettent à Syngenta d’apparaître comme partenaire du développement, tout en maintenant une dépendance technologique et économique des paysans à ses produits. Rien n’est dit sur les alternatives existantes (agroécologie, autonomie semencière, fertilité naturelle des sols), ni sur les impacts écologiques des solutions proposées.

Enfin, ces partenariats s’inscrivent dans une stratégie plus large de “verdissement” du secteur agrochimique, soutenue parfois indirectement par des mécanismes de financement multilatéraux comme le Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Le FEM, créé en 1991, est le principal mécanisme de financement des projets environnementaux globaux pour le compte de conventions internationales (biodiversité, climat, pollution). Il finance des projets censés réduire les impacts environnementaux, y compris ceux de l’agriculture. Mais en collaborant avec des acteurs privés comme Bayer ou Syngenta, ou en appuyant des programmes qui ne remettent pas en cause les fondements du modèle agrochimique, le FEM participe aussi à une logique de réforme superficielle, où l’on prétend corriger les effets du système sans toucher à ses causes structurelles.

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