AGENCES SANITAIRES

Les institutions européennes chargées de la régulation des pesticides (EFSA, ECHA, SCOPAFF, ESDAC) sont théoriquement garantes de la sécurité sanitaire et environnementale des produits autorisés sur le marché européen. En pratique, elles sont traversées de conflits d’intérêts systémiques et d’une influence structurelle de l’agrochimie, qui cadre à la fois le contenu des évaluations scientifiques, les critères réglementaires, et les priorités de recherche.
Au-delà des individus, l’agrochimie influence les institutions européennes à travers le cadrage des priorités de recherche, la production de normes, l’occupation des espaces de concertation, et le lobbying permanent à Bruxelles. Le résultat est un système réglementaire qui semble protecteur, mais qui autorise systématiquement des produits sans évaluation indépendante, selon des critères fixés en concertation avec les industriels, et dans une opacité qui empêche toute reddition de comptes.

COMMISSION EUROPÉENNE SCOPAFF

Le SCOPAFF, comité stratégique composé de représentants des États membres et présidé par la Commission européenne, décide de l’autorisation des substances actives des pesticides. C’est un lieu clé de validation politique. En conséquences, l'autorisation, la prolongation, la réautorisation ou le retrait des substances actives ne passe jamais par le parlement européen. 

La liste de ses membres est tenue secrète, empêchant tout contrôle démocratique. Ce comité a bloqué à plusieurs reprises l’adoption de lignes directrices plus strictes, notamment celles proposées par l’EFSA sur les risques pour les pollinisateurs, sous la pression d'États membres influencés par les lobbys agricoles. Il agit ainsi comme verrou politique en aval du processus scientifique.

PESTICIDES LOBBYING EUROPEPESTICIDES LOBBYING EUROPE

EFSA - AUTORITÉ EUROPÉENNE DE SÉCURITÉ DES ALIMENTS

L’EFSA, chargée de l’évaluation des risques liés aux produits phytosanitaires, ne réalise aucun test indépendant : elle se base quasi exclusivement sur les données fournies par les industriels eux-mêmes. Or, des études ont montré qu’environ 58 % de ses experts ont des liens d’intérêt avec l’industrie agroalimentaire ou chimique, notamment via des collaborations avec des organismes comme l’ILSI, financé par Bayer, BASF ou Syngenta.

Le cas du glyphosate est emblématique : malgré une littérature scientifique académique abondante démontrant sa toxicité (cancérogène probable, perturbateur endocrinien), l’EFSA a affirmé qu’« aucun consensus » ne se dégageait. Cette position découle du fait que les études les plus critiques ont été écartées ou relativisées, tandis que les documents fournis par Monsanto ont parfois été intégrés mot pour mot dans les rapports, selon une enquête du Parlement européen.

PESTICIDES LOBBYING EUROPEPESTICIDES LOBBYING EUROPE

ECHA - AGENCE EUROPÉENNE DES PRODUITS CHIMIQUES

L’ECHA, quant à elle, chargée du cadre réglementaire autours des substances chimiques dans le cadre du règlement REACH, n’effectue pas non plus d’analyses expérimentales, et s’appuie en grande partie sur des données confidentielles fournies par les fabricants. Plusieurs membres de son Comité d’évaluation des risques ont été pointés du doigt pour leurs liens étroits avec le secteur industriel, et aucune transparence réelle ne permet d’exclure les conflits d’intérêts.

PESTICIDES LOBBYING EUROPEPESTICIDES LOBBYING EUROPE

ESDAC - CENTRE EUROPÉEN DE RECHERCHE SUR LES SOLS

L’ESDAC (European Soil Data Centre), bien qu’à vocation scientifique, est un autre exemple de captation de l’expertise. Les groupes de travail techniques (Technical Working Groups) du centre, chargés notamment de la modélisation du devenir des pesticides dans les sols, comptent une part importante de membres issus directement de l’industrie agrochimique.

Parmi eux : Gerald Reinken (Bayer), Peter Rainbird (Syngenta), Beate Erzgraeber (BASF), Xiao Huang (Corteva), Philip Branford (ADAMA), ou encore Stephan Partsch (FMC). Cette présence massive soulève une inquiétude majeure : ce sont les firmes productrices de pesticides qui participent à définir les méthodologies d’évaluation de leurs propres produits, dans un cadre public censé être neutre.

PESTICIDES LOBBYING EUROPEPESTICIDES LOBBYING EUROPE

ANSES - AGENCE NATIONALE DE SÉCURITÉ SANITAIRE DE L’ALIMENTATION L’ENVIRONNEMENT & DU TRAVAIL

L’Anses joue un rôle central dans la régulation des pesticides en France. Créée en 2010 à partir de la fusion de l’Afssa et de l’Afsset, l’Anses est responsable de l’évaluation des risques sanitaires liés à l’alimentation, à l’environnement et au travail. Depuis 2015, elle a reçu la compétence exclusive d’évaluer et d’autoriser les produits phytopharmaceutiques (pesticides commerciaux) sur le marché français, une tâche auparavant partagée avec le ministère de l’Agriculture. Cette fonction consiste à délivrer, suspendre ou refuser les autorisations de mise sur le marché (AMM) des formulations de produits, c’est-à-dire les préparations finales contenant une ou plusieurs substances actives.

Contrairement à ce que l’on croit parfois, l’Anses n’autorise pas les substances actives elles-mêmes. Cette responsabilité relève du niveau européen. C’est l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), en lien avec la Commission européenne et les États membres, qui évalue et approuve (ou refuse) les substances actives dans le cadre du règlement (UE) n° 1107/2009. L’Anses, en revanche, agit après cette décision, en examinant les produits commerciaux qui en découlent. Cela signifie qu’elle peut autoriser ou refuser des produits en fonction de leur formulation spécifique, des coformulants utilisés, de leurs conditions d’application et de leur impact sur la santé humaine ou l’environnement, mais elle ne peut pas interdire une substance active autorisée à l’échelle européenne, même si elle présente des risques avérés.

PESTICIDES LOBBYING ANSESPESTICIDES LOBBYING ANSES

L’Anses évalue environ 1 700 produits phytopharmaceutiques en circulation en France. Elle ne mène pas de tests expérimentaux en laboratoire, mais s’appuie sur les données fournies par les industriels eux-mêmes, conformément aux critères définis par les règlements européens. L’agence peut, cependant, refuser une autorisation si les données ne sont pas suffisantes, contradictoires ou si des effets indésirables sont jugés préoccupants. Elle l’a déjà fait dans plusieurs cas, comme en 2018, lorsqu’elle a rejeté 40 demandes d’AMM pour des produits à base de glyphosate, ou en 2023 avec le fongicide Mastana SC. Ces refus sont toutefois rares et souvent contestés juridiquement par les entreprises concernées, ce qui limite leur portée.

L’Anses est régulièrement confrontée à des critiques concernant son indépendance et sa capacité à faire face aux pressions politiques et industrielles. Bien qu’elle se présente comme une autorité scientifique indépendante, plusieurs cas de conflits d’intérêts ont été signalés dans sa gouvernance et ses instances d’évaluation. En 2020, des membres ayant contribué à la rédaction du cahier des charges d’une étude sur le glyphosate étaient également impliqués dans le consortium sélectionné pour la mener, ce qui a jeté un doute sur la transparence du processus. Plus récemment, en 2023, un collectif d’experts a critiqué l’absence de méthodologie claire pour identifier et pondérer les conflits d’intérêts dans la littérature scientifique utilisée. Par ailleurs, l’Anses a elle-même alerté en 2025 sur des risques de « pressions politiques » remettant en cause sa liberté d’évaluation, en particulier après que le gouvernement a proposé la création d’un “conseil d’orientation pour la protection des cultures” susceptible d’influencer ses décisions. La même année, le Sénat a adopté un amendement permettant au ministère de l’Agriculture de suspendre ou retarder certaines décisions de retrait pour des raisons économiques, ce qui a suscité l’inquiétude de la communauté scientifique et des ONG.

Sa prudence sur la toxicité des pesticides, souvent perçue comme de la frilosité, reflète un cadre réglementaire verrouillé, des arbitrages politiques défavorables, et une volonté d’éviter les contentieux coûteux face à des multinationales bien armées juridiquement. L’influence de l’agrochimie sur l’Anses est donc moins frontale qu’institutionnelle : elle passe par le cadrage réglementaire européen, les limites méthodologiques imposées, les réseaux d’experts liés à l’industrie, et la pression constante à concilier évaluation sanitaire et impératifs économiques.