L’Anses joue un rôle central dans la régulation des pesticides en France. Créée en 2010 à partir de la fusion de l’Afssa et de l’Afsset, l’Anses est responsable de l’évaluation des risques sanitaires liés à l’alimentation, à l’environnement et au travail. Depuis 2015, elle a reçu la compétence exclusive d’évaluer et d’autoriser les produits phytopharmaceutiques (pesticides commerciaux) sur le marché français, une tâche auparavant partagée avec le ministère de l’Agriculture. Cette fonction consiste à délivrer, suspendre ou refuser les autorisations de mise sur le marché (AMM) des formulations de produits, c’est-à-dire les préparations finales contenant une ou plusieurs substances actives.
Contrairement à ce que l’on croit parfois, l’Anses n’autorise pas les substances actives elles-mêmes. Cette responsabilité relève du niveau européen. C’est l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), en lien avec la Commission européenne et les États membres, qui évalue et approuve (ou refuse) les substances actives dans le cadre du règlement (UE) n° 1107/2009. L’Anses, en revanche, agit après cette décision, en examinant les produits commerciaux qui en découlent. Cela signifie qu’elle peut autoriser ou refuser des produits en fonction de leur formulation spécifique, des coformulants utilisés, de leurs conditions d’application et de leur impact sur la santé humaine ou l’environnement, mais elle ne peut pas interdire une substance active autorisée à l’échelle européenne, même si elle présente des risques avérés.
L’Anses évalue environ 1 700 produits phytopharmaceutiques en circulation en France. Elle ne mène pas de tests expérimentaux en laboratoire, mais s’appuie sur les données fournies par les industriels eux-mêmes, conformément aux critères définis par les règlements européens. L’agence peut, cependant, refuser une autorisation si les données ne sont pas suffisantes, contradictoires ou si des effets indésirables sont jugés préoccupants. Elle l’a déjà fait dans plusieurs cas, comme en 2018, lorsqu’elle a rejeté 40 demandes d’AMM pour des produits à base de glyphosate, ou en 2023 avec le fongicide Mastana SC. Ces refus sont toutefois rares et souvent contestés juridiquement par les entreprises concernées, ce qui limite leur portée.
L’Anses est régulièrement confrontée à des critiques concernant son indépendance et sa capacité à faire face aux pressions politiques et industrielles. Bien qu’elle se présente comme une autorité scientifique indépendante, plusieurs cas de conflits d’intérêts ont été signalés dans sa gouvernance et ses instances d’évaluation. En 2020, des membres ayant contribué à la rédaction du cahier des charges d’une étude sur le glyphosate étaient également impliqués dans le consortium sélectionné pour la mener, ce qui a jeté un doute sur la transparence du processus. Plus récemment, en 2023, un collectif d’experts a critiqué l’absence de méthodologie claire pour identifier et pondérer les conflits d’intérêts dans la littérature scientifique utilisée. Par ailleurs, l’Anses a elle-même alerté en 2025 sur des risques de « pressions politiques » remettant en cause sa liberté d’évaluation, en particulier après que le gouvernement a proposé la création d’un “conseil d’orientation pour la protection des cultures” susceptible d’influencer ses décisions. La même année, le Sénat a adopté un amendement permettant au ministère de l’Agriculture de suspendre ou retarder certaines décisions de retrait pour des raisons économiques, ce qui a suscité l’inquiétude de la communauté scientifique et des ONG.
Sa prudence sur la toxicité des pesticides, souvent perçue comme de la frilosité, reflète un cadre réglementaire verrouillé, des arbitrages politiques défavorables, et une volonté d’éviter les contentieux coûteux face à des multinationales bien armées juridiquement. L’influence de l’agrochimie sur l’Anses est donc moins frontale qu’institutionnelle : elle passe par le cadrage réglementaire européen, les limites méthodologiques imposées, les réseaux d’experts liés à l’industrie, et la pression constante à concilier évaluation sanitaire et impératifs économiques.